• On appelle « lien traumatique » l'attachement de la victime envers son agresseur dans le cadre d'actes chroniques. Les situations qui alternent le plus les actes positifs et négatifs sont les situations où cet attachement sera le plus fort. Les actes négatifs ne sont pas nécessairement des violences ouvertes, des négligences ou des menaces peuvent suffire. Dans le cadre des violences conjugales on parle aussi de spirale ou de cycle de la violence avec une alternance cyclique de gentillesse et d'agressivité.

    Psychologiquement ce lien s'explique par une soumission à l'agresseur pour éviter ou limiter les agressions (envers soi ou envers d'autres victimes) et tenter d'attirer les comportements de soins dont la victime dépend. Cela peut aller jusqu'à défendre ou protéger l'agresseur. Plus une personne aura vécu ça durant son enfance plus elle retombera facilement dedans étant adulte. C'est très différent, plus complexe et plus intense que le syndrome de Stockholm.

    Les effets sont dévastateurs sur le long terme.

    Article complet : > http://tinyurl.com/2ecaambm <


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  • L'histoire proposée par le jeu Alter Ego est un conte de Nakajima Atsushi mais comme je l'ai trouvé dans un recueil de contes, je parlerai rapidement des autres contes du recueil.

    L'auteur est décédé très jeune, à 33 ans seulement. Considéré comme un auteur classique de la littérature japonaise, il a vécu seul, il est mort seul, il est resté inconnu de son vivant puis a été acclamé après son décès. Mon édition du livre indique qu'il s'est très inspiré des auteurs européens pour écrire des histoires de fiction et de philosophie.

    Certains de ses contes sont très inspirants pour moi tandis que d'autres me répugnent, soit pour les valeurs transmises soit pour les relents de racisme qu'ils contiennent. Il y a vraiment de tout chez cet auteur, du très bon comme du très cringe. Ses qualités d'auteur sont vraiment bonnes mais ses sujets sont … ce qu'ils sont.

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    Le conte principal raconte l'histoire d'un poète qui veut devenir célèbre et être encore présent dans les mémoires un siècle après son décès. Il ne supporte pas la dure réalité de devoir gagner de l'argent pour mettre du riz dans son bol et celui du reste de sa famille (l'histoire de passe en Chine). Incapable de courber l'échine et se faire poète durant son temps libre (c'est toujours mieux que rien), il pète une pile et s'enfuit dans la nuit, transformé en tigre. Au début il pense que c'est une hallucination mais il doit bien se rendre à l'évidence : il a perdu toute humanité.

    Il raconte ses pitoyables aventures à un ancien ami qu'il rencontre au détour d'un sentier. Il présente des symptômes que je pourrais qualifier de dissociatifs : il a des amnésies totales (blackouts) lorsque son aspect de tigre prend le contrôle et des moments de lucidité humaine. Il a honte de ce qu'il fait lorsqu'il est tigre néanmoins son humanité le quitte petit à petit. Il s'interroge : comment a-t-il pu se changer en tigre ? Comment a-t-il pu être un jour humain ?

    Son humanité et surtout le poète en lui a un dernier sursaut d'existence. Il remarque que tous les êtres vivants, humains comme animaux, changent avec le temps. Tous les souvenirs s'effacent progressivement avec le temps. Pourtant il résiste à l'idée de perdre toute humanité, il a enfin compris pourquoi il est devenu un fauve.

    C'est son orgueil et son isolement social qui l'ont transformé en animal. Il s'est laissé dominer par ses pulsions et son mauvais caractère. Refusant par orgueil de travailler son don poétique il l'a gâché.

    Son inhumanité se confirme lorsqu'il constate qu'il s'est inquiété en premier de la transmission de ses poèmes plutôt que de savoir comment va la famille qu'il a abandonnée. Cet égoïsme le rabaisse au rang de bête.

    « Accepter sans broncher ce qui nous est imposé, vivre sans connaître les raisons, tel est notre destin, le destin des vivants. »

    Par ce conte, l'auteur nous indique quelles sont les valeurs humaines à ses yeux – ou du moins aux yeux du personnage principal – et affirme que s'en éloigner transforme les gens en animaux.

    Je comprends cette manière les choses même si je n'y adhère pas. Certes, quiconque ne possède pas les « qualités humaines » ne rentre pas dans la catégorie « humain philosophique ». Mais mes connaissances en psychologie, en neurobiologie, surtout en ce qui concerne la manière dont fonctionnent les traumatismes et le « mode survie », me font remettre en question ce point de vue. Un humain ne peut que se comporter en humain. C'est inscrit dans son cerveau. Lorsqu'il se comporte « en animal » il reste un humain. Quand il imite le comportement d'une autre espèce, il ne fait que l'imiter. Même lorsqu'un humain développe une identité ou facette identitaire animale, cela reste la manière dont un cerveau humain comprend et interprète ce que ça pourrait faire d'être cet animal. Même lorsqu'un humain se comporte de la manière la plus « bestiale » possible, cela reste un comportement humain. Les comportements de survie humains sont des comportements humains. Les comportements « primitifs », qui demandent le moins d'efficacité mentale (le moins d'énergie mentale, le niveau d'intégration le plus bas) restent des comportements humains, ils ne peuvent que s'exprimer de manière humaine dans un cerveau humain.

    Malgré toute l'aliénation, tous les refoulements, tous les jugements sociétaux, un humain ne peut que se comporter en humain. Toute animalité, toute bestialité en lui fera nécessairement partie de son humanité. Plus il cherchera à se dissocier de ces parties de lui plus il en perdra le contrôle et plus facilement elles pourront le submerger et diriger ses actions.

    Maintenant, les bonus !

    Le fléau des lettres est une histoire qui se déroule dans l'Assyrie de l'Antiquité. Un savant part à la recherche du « démon des lettres » (toute chose qui existe possède un « démon »). Il découvre la sémiotique – le fait que les caractères ont un sens parce qu'on leur donne du sens et pas par essence – et cette transformation du signifiant en signifié est à ses yeux la grande malédiction de l'écriture. Cette idée l'obsède, il attribue tous les maux du monde à ce démon des lettres. Parmi eux : le développement de l'esprit critique chez les jeunes, le choix des événements qui vont entrer dans l'Histoire, le fait que le temps utilisé à lire/écrire ne peut pas être utilisé pour développer d'autres compétences. Enfoncé dans sa paranoïa, il finit écrasé par sa bibliothèque de tablettes d'argile. Mon interprétation : quand on a une grille de lecture faussée du monde ça finit souvent en catastrophe.

    La momie se passe durant l'invasion de l’Égypte par les Perses. Un officier Perse entre en contact avec sa vie antérieure qui s'est déroulée en Égypte. Il parle soudainement égyptien puis, se retrouvant nez à nez avec la momie de sa vie précédente égyptienne, tombe en transe et la revit. Dans cette vie égyptienne, il croise le cadavre de la vie encore antérieure et rebelote, en mode fractale. Il perd tellement le contact avec l'ici et maintenant qu'il sombre dans la folie. Mon interprétation : quand on sur-investit ses identités dissociées on perd le contact avec l'ici et maintenant ce qui empêche de guérir de la dissociation et des traumas.

    Possession se déroule dans une tribu Scythe vivant sur un lac. Le personnage principal est le premier conteur de sa culture et les gens le pensent possédé par des esprits. Après un moment, comme il ne produit aucun travail matériel ou physique, il est sacrifié et mangé. Mon interprétation : une société capitaliste et matérialiste ne laisse aucune place à la créativité artistique.

    L'homme-buffle parle d'un homme-buffle (surprenant n'est-ce pas ?) né d'une aventure hors-mariage d'un soir. Il retrouve son géniteur, fait tout pour être son homme de confiance, devient le favori. Une fois que la santé de son père/maître décline, il se débrouille pour mener toute la maisonnée à sa perte, faisant tuer ou exiler les fils légitimes et torturant à mort son géniteur. Mon interprétation : un conte moraliste à propos des relations sexuelles hors mariage.

    Le maître fabuleux est l'histoire d'un archer qui veut devenir le meilleur archer du monde. Son instructeur lui donne des tâches à accomplir ou à apprendre à faire qui sont tout bonnement surhumaines : ne jamais cligner des yeux, voir des choses en zoom comme une lunette de sniper, tirer 100 flèches en instantané... Jusqu'au jour où l'élève cherche à affronter le maître. Le maître prend conscience de la dangerosité de l'élève et l'envoie dans la montagne, apprendre « l'art de tirer sans tirer ». Moins il tire, plus sa réputation de tireur grandit. À la fin de sa vie, il a tellement oublié le tir qu'il ne reconnaît plus un arc quand il en voit un – mais sa réputation en grandit encore plus. Mon interprétation : soit on peut le prendre sous l'angle que « vouloir être meilleur que les autres ne sert à rien, il faut être meilleur que soi-même et être satisfait de ses compétences » soit on peut le prendre sous l'angle de « la réputation et les croyances des gens à notre sujet primeront toujours sur nos compétences réelles ».

    Suivent deux contes tirés du recueil « Histoires des îles ». Le bonheur parle d'un esclave qui ne se plaint jamais et trouve à être heureux de toutes les maltraitances qu'on lui inflige. Il se met à rêver qu'il est le maître de la maison et que le maître est son esclave – le maître fait des rêves similaires où il devient l'esclave de son esclave. Après plusieurs mois, la vie dans le rêve est devenue plus réelle que la vie physique, l'esclave est fort et gras tandis que le maître est maigre et malade. Le maître est jaloux du serviteur pauvre mais sage. Mon interprétation : les idées et les croyances sont des outils puissants qui sont loin d'être anodins.

    La poule illustre la soit-disant « nécessité » de soumettre les indigènes des îles par la peur. L'histoire dans l'histoire parle d'un faussaire qui est devenu insolent avec son client. Lorsque son client a su rétablir la terreur dans l'esprit du faussaire, avec une demande qui est insignifiante pour le client mais vitale pour le faussaire, ce dernier lègue une poule au client suite à son décès. Et comme les indigènes de l'île ne sont pas fiables il a demandé à trois personnes différentes d'apporter une poule – l'ex-client les reçoit toutes les trois. Mon interprétation : ça fait au moins quatre contes sur le recueil qui ont des super relents de racisme, je sais pas lequel est le pire entre « la poule » et « le bonheur » mais bordel je m'en serais bien passé, j'aurais dû me contenter de lire l'histoire du poète-tigre (ou est-ce un tigre-poète ?) et en rester là.


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  • Cet article présente une dizaine de conseils pour les personnes qui sont en #couple avec quelqu'un souffrant de troubles dissociatifs complexes.

    1. vous informer par vous-même sur ce que sont les troubles dissociatifs sans mettre la pression de la psychoéducation sur votre moitié
    2. rappelez-lui et montrez-lui que vous l'aimez et que vous acceptez toutes ses parts
    3. parlez ouvertement et explicitement à propos des limites, besoins... de chacun
    4. respectez chacune de ses parts, soyez honnête avec toutes
    5. tissez des liens avec chacune de ses parts, apprenez à les connaître
    6. préparez-vous psychologiquement à affronter des incohérences dissociatives, surtout chez les personnes qui ont encore du mal à communiquer entre leurs alter. Ça se calme avec le temps et l'intégration.
    7. construisez des choses positives ensemble dans l'ici et maintenant
    8. respectez bien les limites pour le contact physique : entre les triggers et tout ce qui doit être (ré)appris, il faut faire preuve de patience !
    9. l'intimité au lit pourrait être compliquée, c'est parfois un vrai travail thérapeutique qu'il faut entreprendre
    10. amusez-vous ! Passez du temps ensemble et regardez au-delà des traumas.

     

    Article complet : > http://tinyurl.com/5e2yunnj <


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  • Cet article reprend des conseils donnés par Aaron Golub (un conseiller, entrepreneur et athlète aveugle) au sujet des survivants de traumatismes. Il s'agit de conseils concernant le soutien émotionnel dont les personnes survivantes de traumatismes ont besoin de recevoir, en particulier si elles sont très dissocié.

    1. rester consistant, cohérent dans le temps, admettre ouvertement ses erreurs. C'est l'inverse du gaslighting.
    2. apprendre ce que signifie être dissocié afin de mieux comprendre la personne en face et éviter de dire ou faire des maladresses.
    3. avoir l'esprit ouvert : chaque personne dissociée est unique avec ses propres besoins, son propre fonctionnement personnel. Les stéréotypes sont exactement ça : des stéréotypes. Certaines personnes y correspondent mais la plupart, non.
    4. faire preuve de compassion. On ne dissocie pas par plaisir d'avoir l'esprit en morceaux ni par esprit de contradiction envers son entourage.
    5. de l'humour, beaucoup d'humour. C'est important de partager des moments heureux dans le présent afin de guérir durablement.

     

    L'article développe chacun de ces points en détails en les contextualisant par rapport aux troubles dissociatifs complexes.

    Article complet : > http://tinyurl.com/ym762jba <


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  •  « Demian » est un roman initiatique psychanalytique écrit par Herman Hesse durant sa jeunesse.

    L'introduction de mon édition indique que l'auteur est très influencé par le mouvement du Romantisme allemand. Il a publié Demian (sous-titré : histoire de la jeunesse d'Emil Sinclair) sous un pseudonyme, son nom réel n'apparaissant qu'à partir de la 18è édition. La postface indique que Hesse a été fortement inspiré par ses lectures de Freud ainsi que le travail d'analyse qu'il a effectué auprès de Jung.

    Les thèmes du roman sont : la découverte de soi-même, le développement personnel, la réinterprétation des textes bibliques, l'autonomisation, l'auto-déification, éventuellement le dæmonisme, avec un petit sous-texte fruity par moment (ou alors c'est moi qui cherche trop). Chaque chapitre porte le titre d'un symbole qui sera exploré dans le chapitre en question. Chaque symbole est décrypté en même temps qu'il est présenté, ce qui permet une lecture fluide et une compréhension facile du texte sans avoir à décrypter soi-même les symboles. Le narrateur (Emil Sinclair) est constamment en train d'effectuer son auto-analyse en se basant sur des symboles, internes ou culturels. Il y a une bonne ambiance Carl Jung dans cette symbolique, je trouve. Le titre provient du personnage qui stimule et entretient le plus cette quête personnelle chez Sinclair : Max Demian.

    Voici quelques citations qui m'ont marqué (traduites de l'anglais par mes soins) ainsi qu'un bref aperçu des symboles explorés dans le livre. Je vais essayer de raconter l'histoire le moins possible pour éviter les spoils.

    « Je ne voulais qu'essayer de vivre en accord avec les impulsions provenant de mon moi véritable. Pourquoi était-ce si difficile ? »

    Le prologue questionne ce qu'est une personne humaine et souligne que c'est quelque chose de très mal compris : la plupart des gens restent « animaux » car ils ne vont jamais à la rencontre d'eux-mêmes. Chaque personne est unique et chaque personne devient bien plus qu'humaine lorsqu’elle raconte sa propre histoire. Chaque personne est le fruit d'un concours de circonstances unique qui ne se reproduira plus jamais. Chaque histoire humaine est importante, éternelle est sacrée. Aller honnêtement à la rencontre de soi-même permet de découvrir sa propre nature, pleine de chaos, de non-sens, de folie, de rêves.

    Chaque vie est un chemin vers soi-même mais personne n'en atteint jamais le but ultime.

    Le premier chapitre explore le symbolisme de la dualité. D'un côté le monde lumineux, de la famille, de la civilisation, de la religion, de la sécurité et des convenances. De l'autre le monde sauvage et obscur des serviteurs, des crimes, de la saleté, de la mort et de la liberté. Sinclair explore la manière dont, enfant, il passait d'un monde à l'autre et comment/pourquoi il a eu le sentiment de quitter le monde lumineux de la famille. Il explore également la désobéissance au Pater Familias en tant qu'image du Dieu-Père pour prendre son autonomie, ce qui peut faire écho à la sortie d'Eden.

    « La mort est naissance, peur et crainte d'un terrible renouveau. »

    Le deuxième chapitre commence à poser la base du symbolisme autour de la marque de Caïn. Cette marque est interprétée par Max Demian comme un air, une « vibe » dirait-on aujourd'hui que portaient Caïn et ses fils. Quelque chose les rendant effrayants aux yeux du monde, pas uniquement à cause de la nature de Caïn mais aussi à cause de la couardise du reste du monde. Pour Sinclair, son « Caïn personnel » est Demian, dont les mots sont assez puissants pour détruire le faible « Abel personnel » de Sinclair (un camarade harceleur). Le symbole du monde dichotomique continue d'être développé, de même que des symbolismes chrétiens comme le « lavement des péchés » par la confession de choses qui font culpabiliser Sinclair. Caïn est un hérétique dans la Bible donc, d'après le point de vue du « monde lumineux », suivre les conseils de Demian reviendrait à commettre une hérésie contre sa propre famille.

    « Rien au monde ne dégoûte plus un homme que d'emprunter le chemin qui le mène à lui-même. »

    Le troisième chapitre explore la symbolique de Jésus entre les deux brigands durant la crucifixion, tandis que tout soutien divin lui est refusé. Dans ce chapitre, Sinclair traverse une période difficile pour laquelle ses parents (ses dieux personnels) ne lui sont d'aucun soutien. Tout le monde fait comme si de rien n'était, comme si ignorer le problème allait le faire disparaître. Sinclair remarque que quand on quitte l'Eden de l'enfance, il n'y a aucun retour en arrière possible, on ne peut qu'avancer. Quiconque essaye de revenir en arrière, refusant d'entrer dans l'âge adulte, est condamné à errer dans un entre-deux. Dans ce chapitre, Demian me donne des grosses vibes autistiques, encore plus que dans les précédents, mais il y a autre chose derrière, ce qu'on verra au fur et à mesure des autres chapitres. Il a un air autiste mais sans me donner l'impression d'être autiste, je ne saurais pas comment expliquer exactement.

    Il y a aussi un sous-texte un peu fruity (légèrement homoromantique/homoérotique, si vous préférez) entre Sinclair et Demian mais ça reste léger, c'est pas non plus franchement gay. C'est très ambigu.

    « À quoi cela sert-il de se repentir quand on est au bord de la tombe ? »

    Un autre thème de ce chapitre est la fidélité envers ses propres conviction. Un autre thème est l'hypocrisie de la religion chrétienne, le problème posé par la séparation du sacré et du profane et l'arbitraire des règles sociales.

    Pour être soi-même il faut pratiquer l'introspection.

    Le quatrième chapitre aborde le thème de l'errance spirituelle et de la recherche de sa propre divinité intérieure. Sinclair rencontre sa part d'ombre, il est submergé, s'y abandonne, essaye de se fuir lui-même. Il se focalise sur les distractions matérielles pour fuir sa vie intérieure spirituelle. Jusqu'au jour où un sursaut intérieur l'encourage à se créer une divinité intérieure, Béatrice, sur laquelle il s'appuie pour remonter la pente et revenir à lui-même. Il prend conscience du lien entre Béatrice et Demian.

    Le cinquième chapitre aborde la symbolique d'un oiseau jaillissant de la sphère-monde afin de naître. Sinclair quitte le monde (social et philosophique) trop étroit dans lequel il a grandit pour s'ouvrir à la vaste diversité du reste du monde. Il commence à s'intéresser à l'ésotérisme, aux symboles, notamment à la divinité Abraxas. Cette divinité symbolise l'union des pôles opposés, la totalité de ce qui est – au lieu de séparer le monde en « divin vs diabolique » comme le fait le dieu chrétien.

    Sinclair commence à explorer l'union de son « soi lumineux » avec son « soi obscur » en une sorte d'Abraxas intérieur (au lieu d'avoir uniquement une Béatrice lumineuse) ce qui n'est pas sans heurts. Il explore le mysticisme, les états de transe, l'union de soi et du monde.

    « Il y a une grande différence entre simplement porter le monde en soi et en avoir conscience. »

    Pour être pleinement humain, il faut avoir pleinement conscience des choses, du monde, de soi-même. Il faut être capable de ressentir des états de transe et de les contrôler. Sans état de transe mystique on est un animal, sans contrôle on est fou.

    Dans le sixième chapitre, Sinclair apprivoise de mieux en mieux sa part d'ombre. Il comprend qu'on peut refuser de s'y soumettre et en même temps, la traiter avec respect, amour et en explorer le sens. Il comprend aussi qu'on peut apprendre beaucoup de la part des gens qui viennent vers nous avec des questions : le maître a parfois plus à apprendre de l'élève que ce que l'élève a à apprendre du maître.

    « Si tu détestes quelqu'un, tu détestes quelque chose en lui qui fait partie de toi. Ce qui ne fait pas partie de nous ne nous dérange pas. »

    « Tu dois accepter qui tu es et après tu dois suivre ce que le cœur de ton cœur désire. Il n'y a pas d'autre voie. Si tu ne parviens pas à trouver ça tout seul, tu ne verras aucun esprit. »

    Sinclair commence à faire l'expérience d'union mystique avec son Abraxas intérieur. Il refuse de lâcher prise, il refuse d'abandonner : il veut devenir le divin qui est en lui. En fusionnant avec lui-même il gagne confiance en son intuition. Désormais sa divinité intérieure est associée au dæmon jungien. Il ressent le besoin de se déparer définitivement d'un de ses maîtres en ésotérismes, même si cela implique l'impression d'être un ingrat ou un traître.

    « Même les gens les plus inoffensifs ne peuvent pas s'empêcher d'entrer en conflit avec les vertus de la piété et de la gratitude. Tôt ou tard chacun d'entre nous doit faire ce pas qui va le séparer de son père, de ses mentors ; chacun d'entre nous doit faire une expérience cruellement solitaire – même si la plupart des gens ne le supportent pas et font rapidement demi-tour en rampant. »

    « Un homme éveillé n'a qu'un seul devoir – chercher le chemin vers lui-même. »

    Le septième chapitre se penche sur la façon dont Sinclair va réagir à et interagir avec la mère de Max Demian, Frau Eva. Celle-ci va pendant un temps prêter son visage à la divinité intérieure ou dæmon de Sinclair.

    Les études de Sinclair se penchent vers la philosophie ; il prend conscience qu'étudier les courants philosophiques antiques ce n'est pas adapté à la compréhension du monde actuel, de la société contemporaine. Il lui faut quelque chose de mieux adapté et de plus contemporain pour comprendre son propre esprit – qui est celui d'un homme contemporain, pas d'un homme de l'Antiquité. En cela, la « marque de Caïn » devient de plus en plus visible sur lui.

    Personnellement je mets cela en parallèle avec la « voie de la main gauche » en ésotérisme. Il ne s'agit pas de « magie noire » ou de faire des choses « antisociales » par plaisir sadique ou opposition aux autorités, mais plutôt de chercher son propre chemin, ses propres symboles, de développer ses propres valeurs en fonction de ses propres besoins. Cela demande beaucoup d'expérimentation, pour trouver ce qui marche pour soi – mais c'est aussi un peu plus dangereux car quand on teste plein de choses par soi-même on risque de faire des mauvaises expériences. Par exemple, des pratiques méditatives, lorsqu'elles ne sont pas encadrées et quand on n'a personne à côté pour nous aider à nous réorienter vers l'ici et maintenant, peuvent causer des crises de dépersonnalisation et de déréalisation intenses menant à des attaques de panique, des flashbacks traumatiques, un vertige existentiel incontrôlé... Faut avoir de sacrés épaules pour arriver à affronter ça sans en développer de traumatisme supplémentaire, s'en remettre, en tirer un protocole d'ancrage adapté à ses propres besoins et sensibilités, instaurer des limites à ne pas dépasser lors des prochaines pratiques, puis recommencer en respectant bien le cadre ainsi défini. C'est difficile de faire ça soi-même et pour beaucoup de personnes, la « voie de la main droite », pré-cadrée et pré-définie, sera beaucoup plus facile à suivre. Moins personnalisée mais aussi plus prudente car déjà pré-cadrée.

    Et y'a aussi tous les gens que ça n'intéresse pas, de faire des expériences mystiques, et qui ne s'engageront jamais sur ce genre de pratique. Ou qui découvriront leur propre « mystique » personnelle en recherchant les états de bien-être et de transe liés à la pratique d'un sport, à une lecture de qualité, une partie intense de jeu vidéo, etc etc. Je juge pas, chacun ses préférences, tant que ça reste dans les limites du raisonnable, que ça n'a aucun retentissement négatif sur vous ou les autres et que ça n'entrave aucun domaine de fonctionnement, faites-vous plaisir et profitez de la vie !

    Revenons à Sinclair.

    Lui et Max notent une différence fondamentale entre deux sentiments de communauté. Celui qui naît d'en ennemi commun est beaucoup plus ténu et beaucoup moins profond que le sentiment de communauté qui naît d'un sentiment d'union véritable – ce que j'appellerais un attachement sécure, une intimité émotionnelle et psychologique. Ils ont également des discussions autour de ce qu'implique de porter la « marque de Caïn » c'est-à-dire, d'aller vers soi-même au lieu de se conformer à un groupe aveuglément.

    Cette discussion est prolongée par une réflexion autour de ce qu'est l'amour. Pour Frau Eva, l'amour implique de s'aimer soi-même, d'aimer le monde entier et de se trouver soi-même. Sans ce prérequis, le lien n'est pas de l'amour. Moi j'appelle ça de l'attachement sécure.

    « Tu n'as peur que si tu n'es pas en harmonie avec toi-même. »

    « Partout ils ont cherché la « liberté » et la « chance » dans le passé, simplement parce qu'ils craignent leurs responsabilités présentes et leur évolution future. »

    « On n'arrive jamais à la maison […] mais lorsque des chemins qui sont en affinité l'un avec l'autre se croisent, le monde entier devient sa propre maison, pour un temps. »

    Cette citation a beaucoup résonné pour moi en écho à ce que j'ai pu écrire sur la « homesickness » des otherkin dans mon recueil « Dans la tête d'un qilin ».

    « Tu dois trouver ton rêve, alors le chemin devient plus facile. Mais aucun rêve ne dure éternellement, chaque rêve est suivi par un autre et on ne doit s'attacher à aucun d'eux en particulier. »

    « L'humanité – qu'ils aiment autant que nous – était pour eux quelque chose de complet qui devait être maintenu et protégé. Pour nous l'humanité était un but distant vers lequel tous les hommes avançaient, dont nous ne connaissions pas l'image, dont les lois n'étaient écrites nulle part. »

    Le huitième et dernier chapitre annonce la naissance d'un nouveau monde donc la fin de l'ancien. Il est placé sous le sceau de la première Guerre mondiale, amenant le thème de « mourir pour renaître ». Mais également sous la marque de Caïn. Dans ce chapitre, Sinclair sait désormais comment entrer en contact par l'esprit avec les gens qui portent la marque.

    Le livre se termine sur une expérience mystique de fusion avec Max Demian qui devient le dæmon de Sinclair au lieu de simplement lui prêter l'image de son visage.

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    Ce livre était super intéressant, j'ai beaucoup apprécié la manière dont les symboles sont expliqués en même temps qu'ils sont utilisés. Je trouve par contre qu'il se termine un peu en « queue de poisson » mais c'est une contrainte presque géométrique en lien avec la vie de l'auteur. En effet, comment un auteur qui n'est qu'au premier quart ou tiers de sa vie pourrait-il extrapoler sur le parcours initiatique que pourrait traverser une personne plus âgée ? C'est une marque d'humilité de la part de Hesse d'arrêter le parcours de Sinclair à ce que lui-même sait de la vie, sans se projeter dans un futur dont il ignore tout encore.

    Ça m'a vraiment remotivé à lire « Le loup des steppes » du même auteur, dès que j'aurai fini ce défi lecture.


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